Cheffes de bande

Olivia Brunet, Marie-Anna Delgado et l’art du bistrot

Que font deux anciennes des Beaux-Arts après avoir passé un CAP en cuisine pour l’une, en ébénisterie pour l’autre ? Elles ouvrent un resto ! Marie-Anna Delgado et Olivia Brunet ont transformé un antique estaminet bellevillois en jolie cantine de quartier, Paloma, à la force de leurs bras. Trente tonnes de gravats plus tard, l’âme bistrotière est toujours là… Et c’est peut-être un détail pour vous, mais pour elles, ça veut dire beaucoup.

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    Nora Bouazzouni
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Olivia Brunet et Marie-Anna Delgado

© Clémentine Passet

Comment passe-t-on de la culture à la confiture ?

O. B. : Ce n’est pas vraiment une reconversion, parce qu’on a enchaîné directement après les Beaux-Arts. On a en quelque sorte continué nos études, avec les cours du soir de la mairie de Paris – en cuisine pour Marie-Anna et en ébénisterie pour moi.

M.-A. D. : Après ça, j’ai fait le catering du Théâtre de la Cité, puis j’ai bossé au Dindon en Laisse, dans le Marais. Olivia, elle, en avait marre de ses chantiers…

O. B. : Je faisais des aménagements de restaurants depuis plusieurs années, mais ça consistait à bosser trois à six mois d’arrache-pied, puis je n’entendais plus parler du projet. Je commençais à avoir très envie de passer de l’autre côté.

Créer un resto, ça ne se fait pas en deux coups de cuillère à pot ou de pinceau… Comment avez-vous procédé ?

O. B. : On a beaucoup parlé ! Comprendre comment un restaurant fonctionne, comment on l’organise, faire des propositions pour améliorer le quotidien des équipes… c’est passionnant !

M.-A. D. : On a pensé Paloma de manière hyper-pratique. Déjà, parce que je suis toute petite et qu’Olivia est très grande !

O. B. : Côté bar, on a par exemple des rangements et des plans de travail à des niveaux différents. On a vraiment réfléchi ce lieu pour pouvoir y travailler à deux. Et puis, j’avais pu voir vieillir mes anciens projets. En repassant devant le premier resto sur lequel j’ai bossé, je voyais ce qui avait tenu – ou pas.

M.-A. D. : Cette ergonomie va préserver nos corps sur le long terme. Le dernier établissement où j’ai travaillé avait été pensé pour un seul cuisinier. J’ai aussi travaillé dans une brasserie où la cuisine était un couloir : comme on était trois, il était impossible de se croiser…

La déco, c’est plus important qu’avant dans la restauration ?

M.-A. D. : Notre génération y pense peut-être davantage, mais ce n’est pas totalement nouveau : les brasseries et les bistrots ont toujours eu une esthétique.

O. B. : Il y a eu de grands mouvements et les modes ont toujours existé : le marbre, le style Art déco avec bas-reliefs et miroirs… À Paris, les bistrots ont un style très marqué, on peut reconnaître les époques. Mais peut-être qu’avec Instagram, les restaurateurs se doivent de soigner d’autant plus leur déco.

Justement, vous avez pensé à Instagram en aménageant votre restaurant ?

M.-A. D. : Ce n’est pas notre fort, les réseaux sociaux, même si on a communiqué sur l’aménagement.

O. B. : Nous, ce qu’on voulait, c’était un lieu dans son jus, qui avait vécu, avec du caractère – un endroit authentiquement parisien. On n’avait pas envie d’un décor en carton-pâte, comme on voit dans certaines adresses branchées. L’idée, c’était de construire quelque chose de durable, au-delà des modes. On est tombées sur un lieu hideux mais idéalement placé et abordable. Il n’y avait rien à garder, alors on a tout démoli et tout refait, toutes seules. Ce qui a marqué notre vision des choses, aux Beaux-Arts, c’est que les lieux ont une histoire – les quartiers aussi. C’est une archéologie à laquelle on est très sensibles.

M.-A. D. : Les gens nous demandent par exemple si le carrelage était déjà là, mais non, on l’a posé à la sueur de notre front !

O. B. : On a réfléchi à ce qui fait l’essence de Belleville et à ce que ça signifie d’ouvrir un resto à Paris. On a passé les six mois de travaux à rencontrer des personnes, souvent âgées, qui ont grandi là et ont pu nous raconter l’histoire de nos murs il y a trente, quarante ans : qui a posé ces briques qu’on cassait, qui tenait le bar quand il était encore à droite… On est entrées consciemment dans l’histoire de ce lieu et de ce quartier. Ça posait des questions écologiques, sociales…

Écologiques ?

O. B. : On a fait pas mal de récup’ pour les poignées, les pavés de verre, les pieds de table et la vaisselle. Et la plupart des matériaux sont français. Le carrelage notamment, c’est du Winckelmans, fait pour durer, on en voit dans tous les vieux bistrots parisiens ! On s’est aussi fournies chez Rotor, une boîte belge de déconstruction, qui récupère et revend les matériaux de bâtiments détruits. C’est ce qui donne cet aspect authentique, sans l’esthétique brocante.

Quelles ont été vos influences, au-delà des bistrots parigots ?

M.-A. D. : Le Japon, le Brésil, l’Égypte… Des voyages qu’on a faits ensemble, mais aussi les végétaux, les couleurs un peu sableuses, et l’association bois-métal, qu’on aime bien…

Avez-vous le sentiment qu’aujourd’hui, les restos se ressemblent tous ?

O. B. : C’est une question à laquelle je réfléchis depuis un moment. Cette homogénéisation des lieux de restauration est présente depuis les années 30. Dans les années 70, par exemple, il y avait du marbre vert partout, de Paris à Milan ! Aujourd’hui, on donne une place plus importante aux designers et aux architectes d’intérieur. Les projets peuvent être originaux, mais il y a aussi une demande des restaurateurs de faire ce qu’on voit sur Instagram.

M.-A. D. : Beaucoup de personnes n’ouvrent pas un resto pour l’amour de la cuisine, mais pour le business. Elles privilègent donc logiquement les effets de mode, les tendances…

O. B. : Le point positif, c’est que de plus en plus de gens issus de corps de métier différents se reconvertissent dans la restauration, ce qui amène des sensibilités plus variées !

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