Jus de cervelle

A table les faubourgeois !

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  • par
    Alexandre Cammas
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© Ruppert & Mulot

Qu’on l’idéalise ou qu’elle nous effraie, on n’échappe pas à la diversité. Ce constat, nous l’avons fait il y a longtemps. Nous étonnant, par exemple, de voir à quel point un foulard pouvait couper l’appétit républicain dans les cantines scolaires… Halluciné, sincèrement, de voir comment, au nom de la République, les gouvernements, les partis anti-nationalistes, les associations… faisaient tous front avec le National, jusqu’à interdire, ici ou là, ce fichu carré d’étoffe. Le rendant du coup, encore plus cool que le rap et le rock, un jean déchiré exprès, ou un tatouage à la con.

Dernier de la classe en soft power, le pouvoir français n’a jamais su gérer le Cool. Le jour où ses dignitaires auront compris que, pour obtenir d’un jeune ce qu’ils jugent bon pour le pays, il suffit de lui commander exactement le contraire, le pouvoir aura enfin du talent… On peut bien sûr convenir qu’il n’aurait pas été facile d’imposer à tous le port du voile ou de la barbe – n’en déplaise à Houellebecq & Co. – et/ou à tous celui de la kippa, de la croix…. Mais laisser pisser n’aurait pas donné de pire résultat que celui qu’on récolte aujourd’hui : la conversion d’un pays anti-nationaliste, devenu premier dealer de centrales nucléaires et de réacteurs identitaires, en un pays de plus en plus nationaliste.

Et de ce point de vue, il faut bien admettre que les bobos, dont nous sommes et dont vous tenez l’une des bibles entre les mains (si l’on en croit nos confrères), ont aussi sacrément merdé. Conçu comme un espace social décloisonné et décloisonnant, zone dérégulée de croisement des contraires (sans les drogues de la nuit), ascenseur social sans liftier cerbère, le territoire bobo n’aurait jamais dû devenir ce canapé vintage, d’où regarder passer les trains sur écran plat, en ruminant son herbe grasse.

Certes, on savait que David Brooks, créateur du mot « bobo » en 2000, avait bien accouplé un bourge et un bohémien pour parvenir à ses fins. On savait aussi que le carburant argent était déterminant dans cette affaire, pour aller voir ailleurs, s’enrichir des contre et sous-cultures, changer ses fenêtres, encourager la filière bio… Mais jamais on n’aurait imaginé à quelle vitesse ce mouvement se figerait dans un « format » aussi raplaplouc. Aussi reproductible et sans surprises que n’importe quel autre profil, hipster compris – individu au look nazebrock étudié, plutôt jeune, pas mal cynique, sur la voie de la consécration bobo, au stade le plus fauchman…

Et alors, qu’est ce qu’on fait maintenant ?

On lève le camp des Bobos in Paradise*, pour échapper à l’enfer, et on se remet en mouvement, en danger (raisonné ou pas). On tombe le dress code. Faut que ça déménage. On déclasse, se déclasse. On cherche d’autres voies, peut-être qu’on se trompe parfois, peut-être qu’on se trompe tout le temps, mais peu importe puisqu’on pense contre soi, et pas contre les autres. On n’abdique pas. On quitte son bourg pour les faubourgs. On bénit la diversité, l’autre, son contraire. Divers toi-même ! Moi-même, nous-mêmes… Soi-même, on divorce du cynisme pour épouser son époque, être plus fort à deux. On désystématise, contre-propose, bouge les lignes des règles du jeu. Même pas peur, on parle aux apprentis fachos, calmement. Mise à jour tous les jours, on marche au plat du jour. On fait sa petite cuisine. Faubourgeoise. On la partage. On se marre s’ils la recrachent, mais on ne fait plus de smileys : on rit avec les mots. De toute manière, on n’a pas le choix. C’est ça, ou prendre le bouillon. Dans la vilaine soupière d’un Chef, dont on peine à croire que la recette puisse un jour devenir gastronomythique.

Bon Guide 2016.

Alexandre Cammas.

* Par David Brooks, Simon & Schuster, 2000. 

Crédit image : Ruppert & Mulot. 

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