Sommelière, était-ce une vocation ?
J’ai grandi au Canada dans une famille russe très gastronome, amatrice de vin et de culture. Quand je me suis lancée dans le chant lyrique, mon désir était de voyager, d’apprendre constamment, de faire de belles rencontres… Puis j’ai réalisé que le vin pouvait répondre à ces aspirations, à ce que je cherchais dans une carrière artistique. J’ai donc, sans regrets, remplacé le chant par le vin !
En tant que femme, aviez-vous l’impression qu’on vous mettait des bâtons dans les roues ?
Pas vraiment, parce que je me suis très vite rapprochée d’artisans vignerons, de petites structures qui travaillent en bio ou en biodynamie – des gens plus ouverts d’esprit. A Montréal, où j’ai commencé ma reconversion, il y a beaucoup de sommelières, et d’une manière générale le milieu est plus tolérant. En France, en revanche, je suis arrivée dans un restaurant étoilé où j’ai dû faire face à une certaine résistance, à la fois dans l’équipe de sommeliers que je dirigeais, mais aussi de la part de certains convives, intrigués de voir une femme sommelière – étrangère de sucroît ! Il reste encore du chemin à faire dans les restos étoilés, où ce sont les sommeliers qui dominent, même si les femmes sont de plus en plus présentes : Estelle Touzet au Ritz, Paz Levinson chez Pic, Marine Delaporte à Yam’Tcha…Heureusement, les gens surpris de voir une femme sommelière sont minoritaires aujourd’hui.
Comment choisissez-vous les vigneron.ne.s à la carte ?
Je privilégie une viticulture responsable, des productions à échelle humaine. Par exemple, on ne travaille pas avec des maisons de champagne, quand bien même elles produiraient des vins de bonne qualité. Au-delà du goût et de l’équilibre, ce qui m’intéresse, c’est l’histoire : qui, pourquoi, comment… Ça me passionne. On ne peut pas séparer un vin de tout ce qu’il y a derrière. Mais le fait que le vin soit produit par des hommes ou des femmes n’est pas un critère primordial dans mes choix – même si je suis consciente d’avoir beaucoup de vins de vigneronnes !
Dans votre restaurant Comice, en plus d’être la cheffe sommelière, vous dirigez le personnel. Quelle est la différence entre le service au Canada et en France ?
Là-bas, l’approche est plus joyeuse et décontractée, même dans les restaurants gastronomiques. Mais la restauration n’y est pas considérée comme un métier en soi, plutôt comme quelque chose qu’on arrête passé l’âge de 30 ans. Il n’y a pas assez de professionnels car les banques financent très peu les restaurants… Et comme, en plus, la sécurité sociale est moins avantageuse qu’en France, rares sont les établissements qui proposent, par exemple, une mutuelle… Bref, chez nous, c’est un métier à risque. Mais ici, la vision est différente, les gens vont au restaurant pour passer un moment exceptionnel. Les métiers de bouche sont réellement considérés, les gens s’engagent pour faire carrière. Et avec les attentats, puisque le tourisme a baissé, le milieu de la restauration ne prend plus la clientèle pour acquise : l’accueil est devenu plus souriant, on fait des efforts pour choyer les convives.