Cheffes de bande

Elvira Masson, Delphine Plisson et le bon sens comme ultime tendance

Vrais mouvements de fond ou vaines tentations de saison, à table, comment naissent nos petites obsessions ? Delphine Plisson, fondatrice de la maison du même nom où shopper-grailler bien sourcé, et Elvira Masson, chroniqueuse et autrice fine gueule, font le tour de la question : toutes les modes comestibles sont-elle bonnes à adopter ?

  • Date de publication
  • par
    Nora Bouazzouni
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Delphine Plisson et Elvira Masson

© Clémentine Passet

Pour vous, c’est quoi une « tendance » ?

Delphine Plisson : C’est un mouvement de société défini dans le temps, sur lequel on va surfer pour changer les choses – ou pas. Il y a des tendances vaines et d’autres qui font advenir de nouvelles façons de s’organiser, de consommer, de vivre.

Elvira Masson : La tendance, c’est l’observation d’un phénomène émergent, micro ou macro. L’ambivalence, c’est que de cette observation naît une série de données qui influent sur la production de biens et de services – avec tout ce que ça implique de marketing et d’absence d’authenticité. Mais de la tendance peut effectivement naître un phénomène de fond, positif. Reste qu’aujourd’hui, à la faveur des réseaux sociaux, les tendances disparaissent aussi vite qu’elles sont apparues…

Qui fait les tendances ?

E. M. : Elle peuvent venir de la société capitaliste, cette machine malade qui produit des phénomènes parfois artificiels, ou des grands groupes agroalimentaires… Mais d’une manière plus positive, la tendance qui consiste par exemple à retourner au bien-manger et à une forme de traçabilité agricole naît du bon sens, de l’observation de l’épuisement des ressources, d’une génération qui s’informe par elle-même…

D. P. : On ne cherche jamais à plaire aux clients – c’est plutôt l’air du temps qui vient à nous à travers eux. Le Covid, par exemple, a engendré une tendance qui ne fait que s’amplifier : la volonté de se réapproprier son alimentation. Les confinements ont amené les gens à s’interroger et s’émanciper des idées reçues : cuisiner serait un truc de plouc, ça prend trop de temps, bien manger coûte trop cher… À la Maison Plisson, on vend trois fois moins de poulet rôti qu’il y a un an et demi, et trois fois plus de poulet cru. Des personnes de 27 ans nous demandent des conseils pour faire une blanquette !

E. M. : Après, ça dépend de ce qu’on entend par « tendance ». Quand je vois la proposition d’agrumes ou de salades amères à la Maison Plisson, je me dis qu’on est en plein dans la mode de l’amertume, de l’acidité des agrumes, leur palette aromatique et florale… C’est une tendance, mais pas au sens marketing du terme, qui serait poussée par l’agro-industrie. Ce qu’on aimerait voir émerger, c’est le fait que les gens s’intéressent au champ des possibles de leur alimentation. Nous devons être sélectives chacune dans notre métier – à l’opposé de ce que proposent les marchands de tendances, qui bouffent à tous les râteliers.

Delphine Plisson

Delphine Plisson

© Clémentine Passet

La mondialisation des tendances alimentaires, notamment via les réseaux sociaux, c’est une bonne ou une mauvaise chose ?

E. M. : L’avocado toast est un exemple assez révélateur : plutôt sympa au départ, il a viré au phénomène mondialisé sans queue ni tête. C’est une recette née sur la côte pacifique des États-Unis, facile à réaliser, dont le coût de revient est très faible, et qui est surtout extrêmement photogénique – l’un des diktats de l’époque. Sauf qu’aujourd’hui, on sert de l’avocat en toute saison et sa production massive a un bilan carbone catastrophique. Ça rappelle le phénomène du quinoa, que les producteurs boliviens ne peuvent même plus se payer ! On nage en pleine contradiction avec, d’un côté, une tendance de fond concernant la durabilité et le sourcing et de l’autre, le désir de générer des likes sur Instagram. Les micro-tendances finissent par être ridicules quand elles deviennent système.

Quelle est la responsabilité des journalistes lifestyle lorsqu’ils médiatisent une tendance ?

E. M. : Il faut être en accord avec ses valeurs, ne parler que de choses qui ont du sens pour soi. Mon job, c’est de séparer le bon grain de l’ivraie, de mettre en avant des gens dont j’estime le travail, et pas juste parce qu’ils incarnent un effet de mode. Décrypter un plat ou une recette, si ce n’est pas bon, s’il n’y a pas d’histoire à raconter ou de sincérité, ça ne m’intéresse pas.

D. P. : Côté commerce, c’est aussi une énorme responsabilité car il faut assumer ce qu’on vend. À la Maison Plisson, on est porté par deux piliers : le bon sens et le plaisir. Bon, il y a aussi des choses que je ne vends pas encore parce que je ne suis pas prête, comme les insectes, par exemple. Mais il y a une sincérité absolue dans mes choix. Cette boîte, je l’ai montée toute seule, donc il faut que je sois à l’aise avec ce que je propose.

Elvira Masson

Elvira Masson

© Clémentine Passet

Un pari sur les prochaines grandes tendances food ?

D. P. : On reçoit de plus en plus de produits à base de superaliments, sauf qu’avant, c’était pour avoir plus d’énergie, alors que là… c’est pour être plus détendu ! Les boissons sans alcool sont aussi de plus en plus demandées par les clients. Ça s’inscrit dans la tendance du « je veux aller bien ».

E. M. : Il y a clairement un phénomène de « moins mais mieux » et une vision plus holistique de la santé. Une micro-tendance, qui va exploser à mon avis, ce sont les plantes dites « adaptogènes » [qui permettraient de mieux s’adapter à la fatigue, au stress… ndlr], vendues dans un packaging très instagrammable et qui surfent sur ce marketing de la santé qu’on avale – au-delà des alicaments qu’on connaît déjà.

Vous faites toutes les deux partie du programme Bold de la Maison Veuve Clicquot. Qu’est-ce qu’il vous apporte et pourquoi a-t-on encore besoin de ces réseaux 100 % féminins ?

E. M. : L’entrepreneuriat reste un milieu masculin, où les femmes doivent encore plus se bouger les fesses que leurs voisins… Ce genre de programme encourage le mentoring, le partage d’expérience, la sororité – pour pouvoir discuter, faire bouger les lignes, encourager ou inspirer des vocations !

D. P. : J’adore faire partie de cette communauté, entre autres parce que ça désacralise l’accès à l’entrepreneuriat. J’avais 40 ans quand j’ai monté la Maison Plisson, j’avais déjà beaucoup bossé, mais l’entrepreneuriat me paraissait hyper-impressionnant ! Il faut se donner les moyens d’y arriver, et le fait d’être encouragée et entourée comme on l’est dans la communauté Bold Woman, c’est formidable. Il y a beaucoup de bonté et de générosité, ça donne énormément d’énergie.

E. M. : Parce que oui, il y a beaucoup de meufs chanmé !


 

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L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.

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