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À table, les enfants de chefs sont-ils aussi relous que les nôtres ?

« Jaime paaaaaaas ! » Une fois, ça va. Dix fois, ok. Mais quand linimitié contre toute nouveauté culinaire se répète inlassablement, on peut commencer à parler de néophobie alimentaire. D’ailleurs, comment on gère quand on est restaurateur·rice ? Ces pères et mères nourricières racontent les grands déboires de leurs petit·es à table et leurs éventuelles parades.Ou comment dire je t’aime à la phobie.

  • Date de publication
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    Bérengère Perrocheau
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© Guillaume Belvèze

Quand on a mis tout son cœur à l’ouvrage, il faut parfois respirer un grand coup pour affronter ces petits êtres qui n’aiment pas, avant même d’avoir goûté ! On sait pourtant que 75 % des enfants de 2 à 10 ans sont touché·es, souvent un court moment, parfois durant toute la période, par cette « néophobie » alimentaire. Certains avancent qu’elle serait dû à notre héritage ancestral et qu’elle renvoie à des temps où il était prudent de se méfier des aliments inconnus pour ne pas s’intoxiquer. Vraie ou pas, cette explication n’enlève rien à l’intransigeance de nos bambins et n’apporte pas beaucoup de solutions aux parents impuissants. Alors, si vous vous sentez démuni·es, peut-être qu’à la lecture de ces entretiens avec des chef·fes et des restaurateur·rices confronté·es au même dilemme, vous vous sentirez moins seul·es. Spoiler : ça parle beaucoup de rigolades et de philosophie…

Marie Gibert et Thibaut Bertin, restaurateur·rices et traiteurs chez Mathi (Saulce-sur-Rhône)

« On est en plein dedans », rigole Thibaut Bertin au téléphone. Sa fille, Margaux, qui aura 2 ans à la fin du mois, ne jure plus que par les pâtes. « Et honnêtement ? On lui fait des pâtes, déculpabilise-t-il. On tente quand même quelques légumes, mais on se fait jeter ! » Dans son régime alimentaire très strict, l’enfant accepte la noisette de beurre, le jambon, à la rigueur une saucisse, mais c’est tout. « On essaie de ruser, on met de la purée de légumes sous les pâtes. À la troisième ou quatrième cuillère, elle comprend l’entourloupe et refuse la bouchée », poursuit-il. Eux aussi se questionnent sur le mode de restauration de la crèche, organisé par les encadrant·es elles-mêmes et qui n’ont pas toujours le temps de faire autre chose que des pâtes. Forces tranquilles, il·elles concluent : « Mais vous savez quoi, on vient d’ouvrir il y a trois semaines après six mois de travaux. Clairement, on choisit nos combats. Ça va passer, c’est sûr ! » 

Julien Durand et Julia Soto, co-fondateur·rices et chef de Chantoiseau (Paris)

« Sur nos deux enfants, la grande, Silvana, a traversé cette période durant une grosse année. Ça a commencé autour de 4-5 ans et on a laissé faire », raconte le couple. Parce qu’elle avait réduit ses choix à de l’avocat, du brocoli et du riz blanc, ils décident d’acheter un rice cooker, d’investir dans le meilleur riz japonais et de ne pas lutter. « On avait le droit de lui mettre un peu de gomasio sur le riz mais c’était tout », se souvient l’un. « Si le brocoli était trop cuit, elle le crachait et elle pouvait faire une crise », rigole aujourd’hui l’autre. Il·elles observent que leur fille est très sensible à la fraîcheur, qu’elle mange du poisson s’il est parfaitement cuit, au fur et à mesure, ils continuent de proposer quelque chose de nouveau à chaque repas : « Au bout d’un an, c’est revenu peu à peu. Évidemment, c’est fatigant, c’est difficile quand on a tout préparé et qu’on a acheté de beaux produits qui coûtent chers, on se dit ‘tu n’aurais pas pu me prévenir avant que tu ne voudrais que des brocolis ?’, mais il faut continuer ! » 

Jane Gallix, cheffe traiteur de Janette Traiteur (Avignon)

Eux sont plutôt « abats, cervelle, anchois, œufs de cent ans », difficile d’imaginer alors que leur progéniture serait monomaniaque. « C’est vrai que c’est frustrant d’avoir des petits qui ne mangent rien mais le pire, c’est de préparer trois menus, parce qu’en plus, les deux n’aiment pas la même chose », soupire Jane Gallix. Le « calvaire », comme elle l’appelle, a commencé aux 2 ans réciproques d’Émile et Rosie. « Après, c’est super, on a une incroyable connaissance des pâtes, de leurs formes, de leurs temps de cuisson, de celles à mettre dans l’eau bouillante quand on est pressé… », plaisante-t-elle. Par-dessus le marché, elle stipule qu’ils n’aiment ni les burgers, ni les pizzas, ni les croque-monsieur : « Ce qui rend difficile toutes sorties en société, au restaurant ou chez les amis. » Elle reprend : « Un jour, j’ai décidé de ne rien lâcher, j’ai tenu deux jours où ma fille n’a rien mangé. Sachant qu’elle se nourrit uniquement de pain et d’eau à la cantine, je commençais à me dire que c’était de la maltraitance. » Faire de ce moment rassembleur, de la fin de journée, un conflit n’est pas non plus une solution selon elle, qui se souvient être restée à table des heures pour finir son assiette alors que l’éponge avait été passée : « Est-ce parce qu’on m’a beaucoup forcé que maintenant j’aime tout ou aurais-je de toute façon tout aimé ? », se demande-t-elle, précisant préférer la deuxième solution.

Alexandre Giesbert, co-fondateur de Daroco (Paris)

« Je me suis toujours attaché à équilibrer l’alimentation de ma fille et à éveiller sa curiosité gustative », raconte Alexandre Giesbert. Donc, forcément, quand Joséphine, aujourd’hui 9 ans et demi, restreint son panel d’exploration, il finit par « le prendre personnellement. » « Oui, c’est compliqué pour moi, j’en fais une affaire personnelle. » Pourtant le restaurateur voit bien que « ça évolue », et que rien n’est figé, qu’elle mange avec plaisir de l’ail des ours ou des oignons, alors il continue. Il continue de montrer sa « propre gourmandise », il continue de l’emmener au marché, « lui montrer le produit pour l’éduquer », l’impliquer en cuisinant… « Je suis d’une autre génération, on m’a beaucoup forcé à terminer mon assiette. Moi, je la force à goûter, certainement pas à manger ! » Et de conclure sur la cantine, qui « pour l’éveil aux saveurs, n’est pas idéal », qu’il combat en retravaillant les lentilles qu’elle n’aime pas, pour lui prouver que cela peut être goûteux, et même très bon. 

Elodie Balesi, cheffe de Sole e Monti (Quenza)

« Les miens, c’est plus une période, c’est une ère… » fait mine de pester Elodie Balesi. Jusqu’à 4-5 ans, ses deux enfants mangeaient de tout, « même des soupes ! Aujourd’hui, ils ne savent même plus ce que c’est ! », rigole-t-elle. Elle aussi se demande si « la cantine ne les dégoute pas. » En tout cas, elle parie sur l’effet de groupe et celles·ceux qui « disent que ce n’est pas bon et ça monte à la tête de tous les gamins. Bref, je ne l’explique pas. » Alors, elle continue de proposer des choses même si elle trouve cela « pénible » et « frustrant ». « Le pire, ce sont les légumes. À part des tomates cerises, ils n’en touchent aucun, sans parler de ceux qui sont verts… » À son époque, elle se rappelle goûter à tout, manger de tout, « ce n’était même pas une question, on n’avait pas le choix. Peut-être que nos enfants savent qu’ils l’ont et qu’on va finir par leur préparer ce qu’ils attendent… » 

Vanessa Vaz, cheffe de partie à D’une île (Rémalard)

« Elle se réveille le matin, elle demande des pâtes au petit-déjeuner ! », raconte Vanessa Vaz dont la petite fille de 2 ans et demi a réduit son champ alimentaire depuis trois mois. « J’ai mis un point d’honneur à lui inculquer la curiosité en cuisine depuis le départ et la nouveauté l’avait toujours intéressée, elle mangeait comme nous. » Du jour au lendemain, les pâtes, le fromage et la viande sont devenus ses plats doudous. « Elle vient d’apprendre à dire non, elle s’affirme sans doute mais c’est relou, je le vis très mal. J’aime manger diversifié des produits qui sortent de l’ordinaire. » La cheffe espère que ça ne va pas durer : « J’apprends quotidiennement des recettes qui font plaisir aux gens, le fait de ne pas pouvoir transmettre cela à ma fille me rend triste. » Elle continue tout de même à lui proposer des plats, comme les salades de son enfance qui lui rappellent le Portugal. Sa fille goûte, elle aime, même, mais n’en reprend pas. Avec le papa, ils ont mis en place une notion de repas plus souple, en mode bento, où l’ensemble des mets est posé devant l’enfant : « On la laisse se lever, revenir, et ainsi elle goûte à tout. On a tous des souvenirs d’enfance avec le classique ‘tu finis ton plat sinon tu n’as pas de dessert’, je n’ai pas du tout envie de reproduire cela avec elle. » 

Cindy et Teddy Bidaux, co-fondateur·rices et chef de Garenne Livron (Livron-sur-Drôme)  

Roméo, leur fils de 5 ans est un fin gourmet. Ce dernier est toujours fourré dans les cuisines de son père car il habite au-dessus. Là, il peut goûter au citron séché, comme au cappuccino de morilles ou au jus de têtes de carabineros sans sourciller. Cindy Bidaux avoue avoir été stricte au départ : « On a interdit le sucre industriel et on a passé le mot aux grands-parents. » Puis insiste sur le fait que, selon elle, les enfants veulent avoir accès au monde des adultes : « On pense que les enfants veulent des frites au restaurant, il y a un frein. Alors que beaucoup finissent assis sur les genoux de leurs parents en train de gouter les assiettes des grands. » Teddy abonde dans le sens de l’éducation et de l’implication : « Qui a le temps aujourd’hui de cuisiner ? Nous on peut le laisser préparer une pâte brisée sur le plan de travail et jouer les mains dans la farine, il s’éclate. Participer à l’élaboration du plat, c’est 90% du taf ! »  

Solène Collin, diététicienne pédiatrique, et Sophie Crameri, créatrice de recettes, autrices de La cuisine des petits (Éditions Flammarion)

Elles se sont rencontrées au travers d’Instagram et ne se sont plus quittées. L’une se réorientait pour devenir diététicienne, l’autre, mère au foyer, partageait les recettes qu’elle concoctait à des parents à court d’idées. Aujourd’hui, elles tentent de donner des clefs pour faire goûter de tout aux enfants les plus durs à cuire : « Il faut parler de l’approche sensorielle qui est super importante, avant de goûter un aliment, on peut le toucher, on peut s’amuser, on peut le donner à manger aux parents ou à la nounou comme aux frères et sœurs. On doit l’appréhender », martèlent-elles. « Il ne faut jamais abandonner, sourit Solène Collin. Continuez à exposer vos enfants, sans jamais les forcer, deux maitres mots que sont exposer et explorer. Cuisinez avec vos enfants. Ne culpabilisez pas et détendez-vous. » En résumé, un jeu d’enfant. 

Élevée dans une famille de zinzins de la bouffe, Bérengère Perrocheau affirme qu’elle ne cuisine pas très bien. C’est faux, évidemment, mais ça lui donne une bonne excuse pour aller au restaurant et goûter les plats de celles et ceux qui savent parfaitement tout cuisiner. Surtout le poisson qu’elle se refuse toujours à préparer pour cause de mauvais souvenirs de cantoche !

 

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