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Festivals : Comment créer une eat machine ?

Au royaume des festivals, les line-up culinaires n’ont pas toujours été en majesté. Mitraillettes mexicanos et côtes à l’os, menus cachés et nécessité de rentabilité… Que disent-ils de l’industrie musicool belge ? Enquête de part et d’autre de la scène, en coulisse comme en plaine.

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    Flavio Sillitti
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©Olivier Rinchard pour Esperanzah!

Face A : Mâche-pit

Dites-nous dans quel festival vous passez l’été, on vous dira qui vous êtes… et ce que vous y graillerez. Rien que dans la catégorie « poids lourds », mettons Tomorrowland et Dour, les philosophies culinaires peuvent être radicalement opposées. « Dour, c’est l’amour » et une indéboulonnable baraque à boudins de village, le festoche hainuyer continuant de revendiquer un esprit « bonne franquette », quitte à clasher avec les attentes changeantes des quelque 50 000 teufeur·ses quotidien·nes. (« Les carbonades sur un lit de frites, les meilleures de ma vie », persiste tout de même un festivalier masqué, cinq rendez-vous dourois à son actif.) À Boom, le plus international des rassemblements techno flamands a depuis longtemps fait le pari du prestige en revanche, conviant « douze des meilleurs chefs du monde » pour ambiancer son comptoir « Taste of the World ». À l’affiche 2024 de Tomorrowland, on compte ainsi l’Indien Gaggan Anand et le Thaïlandais Thitid Tassanakajohn (alias Chef Ton) de Bangkok, la gastrofamille allemande Wussler ou encore le chef belge doublement étoilé Bart De Pooter. Un sacré wall of faim.

Nul doute que les deux options font des heureux·ses. Et des moins ravi·es de cette débauche de gras ou de carbone… Lesquel·les vont alors goûter au festival familial Esperanzah!, à l’abbaye de Floreffe, qui, plus qu’une promesse de convivialité ou de cuisine raffinée, a cherché à insuffler une philosophie forte et pérenne à son offre food. À savoir « l’envie de contribuer au changement, à une société meilleure pour chaque être humain, mais aussi pour la nature qui nous entoure », détaille Florence Higuet, responsable partenariats et alimentation. L’idée, « ce n’est pas juste de faire de l’écologie, mais bien de contribuer au développement durable dans toutes ses dimensions : écologique, sociale et économique. Et l’alimentation touche aux trois ». Résultat : pas de produits surgelés ni d’aliments transformés dans les bacs d’Esperanzah!. « Tout est frais, local, et cuisiné sur place » assure Florence, en survolant la vingtaine de stands de son « comptoir des saveurs » : smash burgers, spécialités congolaises, plats asiat’, crèmes glacées… Le festoche impose au moins une proposition végétarienne par stand, et recommande un plat vegan ou sans gluten histoire que toutes les oreilles s’y retrouvent. Même effort d’inclusivité côté tarifs, avec une limite de 13 euros par assiette, et l’obligation pour chacun d’en avoir une à moins de 8 euros. « S’il faut enlever le bœuf et la truffe, on les enlève, et le plat devient plus rentable pour les restaurateurs, et surtout viable pour les festivaliers. » Plus radical encore, le « dossier de cohérence » du festival, annexe à celui requis pour l’inscription. À l’intérieur, plusieurs questions sur l’approvisionnement des stands, les relations avec les producteur·rices, et une demande plus inédite des preuves d’achat de marchandises. « C’est l’une des seules manières de s’assurer qu’ils et elles se fournissent bien ici ou là. Parce qu’il y a ce qu’on écrit, puis il y a ce qu’on met réellement en place… » estime la capo food du festival, avant de rassurer : « Le but n’est pas de fliquer, où d’imposer d’être irréprochable, mais d’apprendre et de s’éduquer ensemble. » Et quand on demande à Florence Higuet si cet engagement est applicable partout ailleurs, notamment dans les plus gros festivals, elle choisit l’optimisme : « On est l’un des premiers festivals qui ont trié leurs déchets. À l’époque, ça semblait fou ! Aujourd’hui, l’inverse serait impensable. On espère pouvoir observer la même chose au niveau de l’alimentation. »

Quel rôle un festival peut-il jouer dans le développement d’un territoire ? C’est la question qui sert de boussole au pluridisciplinaire Horst à Vilvorde, depuis sa création en 2014. Pour le coorganisateur Toon Timmerman, l’alimentation est l’une des réponses : « On a rapidement eu envie de penser la nourriture comme une façon de rassembler les gens. On a été l’un des premiers événements belges du genre à organiser d’énormes brunchs sur le site du camping, alimentés par des amis du festival, qui sont aussi des habitants du coin. Cet exemple cristallise bien notre volonté de créer du lien autour de la food. » Au menu de Horst, pas de bidoche en sauce qui requinque grossièrement en quelques claquements de mâchoire, mais plutôt « une cuisine traditionnelle et exclusivement végétarienne, avec un petit twist qui rend l’expérience plaisante », expose Toon. La proposition est celle de Guzman, une cantine du centre-ville de Vilvorde : « Du mac and cheese pour la gueule de bois, mais aussi des plats plus équilibrés, comme les bowls végétariens, qui ont leur petit succès. » Le meilleur des deux mondes, comme dirait la philosophe Hannah Montana. « C’est important que l’aspect food soit géré par une équipe de Vilvorde pour stimuler la collaboration avec les organisations basées dans la région, mais aussi pour permettre à des locaux d’interagir avec des personnes d’un peu partout. » En dehors de Guzman, Toon peut aussi compter sur les établissements présents toute l’année à Asiat Park, le site du festival, qui accueillait autrefois une caserne ne devant pas connaître le café de spécialité. « Le torréfacteur MOK tient un stand de vins naturels en collaboration avec Nightshop (une cave à manger bruxelloise, ndlr), et le Bar Bâtard sert sa bière Sambucus et des pizzas au levain. » Une offre avant tout locale, donc, « comme la philosophie globale du festival », affirme-t-il fièrement.

©Olivier Rinchard pour Esperanzah!

Face B : Back-steaks

De l’autre côté du rideau Nadar, sur le territoire des backstages interdit aux simples moldu·es de son, les voix s’échauffent, les muscles s’étirent… et les estomacs gargouillent. Artistes, managers, tourneur·ses et saisonnier·ères habitué·es des caterings, qui consistent plus souvent en trois pommes de terre à l’eau et une sauce Miracoli qu’en un dîner en cinq services, ont pu goûter ces dernières années à des assiettes plus… soignées. Celles de Collé Braisé, qui a servi le festival bruxellois Fifty Lab, par exemple. Aux manettes, les Parisiens Benoît Haran et Yann N’songan, qui se décrivent comme « n’importe quel traiteur », à la différence que l’équipe s’active principalement « sur des concerts, des festivals, de l’événementiel ou des tournages ». Les ravitos ? Des œufs parfaits, des gua bao pimpés et des mignardises au yuzu, le tout bien dressé dans une vaisselle qui change des couverts en plastique. Une petite entreprise qui ne connaît pas la crise : « C’est chaud toute l’année », assure Benoît, « à part peut-être en janvier ». D’après le cofondateur, le succès de la formule repose sur « la rencontre entre des professionnels passionnés qui ont envie de proposer leur cuisine dans des milieux peu conventionnels, et des équipes qui veulent mieux s’alimenter sur des périodes de travail trop peu souvent liées à une alimentation saine ».
« Les frites et la bière, ça reste le menu numéro un en festival », confirme Matthew Irons, chanteur et guitariste du groupe Puggy – même si la triplette préfère manger léger, « sinon tu rotes pendant tout le concert, c’est pas top », précise son acolyte bassiste Romain Descampe. Alors, forcément, quand ils jouent à Rock Werchter, avec son immense buffet varié préparé par des chef·fes, c’est la danse du ventre. Avec, en guise de classieux climax, un stand de café : « On vous prend en photo pendant que vous commandez, et vous vous retrouvez devant un cappuccino avec votre visage en mousse de lait. » Comme souvent, les Flamand·es savent s’y prendre pour mettre des paillettes dans la vie, y compris celle des artistes. Ce qu’atteste Sébastien Desprez, prolifique DJ (Bon Public) et cofondateur du collectif indé Magma, passé récemment par le Core Festival (dernier-né des géants Tomorrowland et Live Nation) et son « barbeuc géant, avec des pièces de viande de malade ». Ou encore Paradise City, où l’on « mange des petits plats hyper léchés, dans des assiettes trop belles, ce qui fait toujours plaisir au milieu d’une journée intense ». Pas de jaloux : dans les backstages de Dour, le DJ se souvient avec émotion d’une entrecôte d’anthologie, cuite minute sous ses yeux écarquillés.

Mais ces buffets n’ont pas le même attrait pour tou·tes les artistes. Mathilde Fernandez, moitié du duo astro-gabber ascendant vierge, « [se] promène toujours avec une dosette de flocons d’avoine à cuire dans de l’eau ». À l’en croire, les avantages de ce repas minimaliste sont nombreux. « Ça colmate l’estomac, ça redonne du peps avant un show, et ça évite de gerber sur scène. » Remonte ainsi la pire erreur de sa carrière, avant un concert au Mexique : « J’avais demandé à mon ingénieur du son, qui était mexicain, de m’acheter rapidement à manger – n’importe quoi. Je me suis retrouvée à avaler une énorme boîte de crevettes à l’ail et au piment. Une cata. Les crevettes me remontaient dans la gorge pendant le show. » De quoi revoir considérablement ses habitudes alimentaires avant un concert. Finalement, le mieux selon Mathilde Fernandez, « c’est d’avoir un cuisinier qui te suit partout et s’adapte à tes besoins, comme Zendaya sur le tournage de Dune ». Aussi simple que ça.

Journaliste kiss cool pour Konbini, Flavio Sillitti n’est jamais contre une crevette cocktail ou un bon potin – encore moins quand l’un implique l’autre. On lui est reconnaissant d’avoir conservé son accent liégeois charmant, même après avoir déménagé à Paris.

Cet article a initialement été publié dans le Guide Fooding Belgique 2024, à shopper ici pour plus d’enquêtes, reportages et récits sur les marges du plat pays ! 

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