« CHICKEN PARM. » Deux mots, une photo et, vingt secondes de scroll plus tard, la page des réservations de Vecchio est ouverte, via le fameux « lien en bio » de son profil Instagram. Une opération simple et efficace pour le coproprio de cette néo-trattoria du 11e arrondissement de Paris, Hubert Niveleau, qui affirme que la plateforme est « l’unique canal de communication » de son restaurant.
Comme lui, 50 % des restaurateur·rices interrogé·es par France Num utilisent Instagram. Mieux, ils et elles sont 83 % à être toujours présent·es sur Facebook, malgré des changements d’audience (devenue plus âgée) ces dernières années. Les deux plateformes appartiennent à la multinationale Meta et donc à Mark Zuckerberg, qui s’est affiché en début d’année aux côtés de Donald Trump pour la « liberté d’expression » – comprendre : pour le recul des engagements de modération et fact-checking sur ses réseaux, déroulant ainsi le tapis rouge à la désinformation, au harcèlement et à la haine en ligne. Des mesures déjà adoptées par son rival Elon Musk, patron de X, et qui ont entraîné la désertion du gazouillant réseau par 30 millions d’utilisateur·rices entre 2022 et 2024 – dont le Fooding. Résultat, 71 % des Français·es sondé·es par Harris et Pulse se questionnent désormais sur leur potentiel départ des plateformes de Meta.
Les pros de la restauration contacté·es par le Fooding, eux, n’étaient souvent pas au courant du revirement de Zuckerberg, ou indifférent·es à ses nouvelles politiques. Par ailleurs, aucun·e n’a communiqué publiquement son souhait de quitter Instagram. Mais est-ce de toute façon si simple de faire ses adieux à Meta, quand Instagram est un si pratique passe-plat ?
De proche en proche
Il suffit de zieuter quelques comptes de restos aux feeds bien pensés et aux contenus léchés pour deviner que les restaurateur·rices ont investi dans leur communication digitale ces dernières années, et constater l’importance qu’Instagram a prise dans leur business. C’est notamment le cas de la table italo-américano-parisienne Vecchio, dont le compte réunit quelque 17 000 abonné·es. Entre une et cinq fois par semaine y paraît une nouvelle photo ou vidéo – une assiette, l’annonce d’un événement ou du merchandising, avec la juste dose de food et de pop culture. Le but ? « Donner envie aux gens de venir », répond simplement Hubert Niveleau, mais créer également de la proximité avec la clientèle, qui peut tout savoir en un clin d’œil : le style de la maison et ses horaires dans la courte bio, les places qui se libèrent pour le service du soir ou une éventuelle fermeture imprévue via les stories. Gratuit, pratique, instantané, autant de raisons qui poussent Hubert Niveleau à l’affirmer : « À l’instant T, je pense qu’Instagram est indispensable pour notre restaurant. »
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Feed Instagram de Vecchio (Paris).
© Vecchio
À 750 kilomètres de là, une autre trattoria : À Moro, ses écharpes de l’OM, sa pasta du jour et son patron Benjamin Moro, pas trop porté sur les réseaux sociaux. « Pour un petit établissement comme le mien, un bon bouche-à-oreille suffit, d’autant plus que je cible en premier les locaux et mes proches », estime le Marseillais. Reconnaissant toutefois que dans une autre configuration, se passer d’Instagram ne serait pas forcément évident : « En fonction de l’endroit où sont placés les restaurants, du type de clientèle qu’ils visent, surtout s’il s’agit de remplir un établissement avec une centaine de couverts, les réseaux sociaux sont nécessaires pour certains restaurateurs. » Ce sont exactement les difficultés auxquelles Vecchio est confronté, et qu’Instagram lui permet en partie de dépasser : un local niché au sixième étage d’un immeuble, dans une rue parisienne peu fréquentée, et une salle accueillant 160 couverts les vendredi et samedi soir. « Peut-être qu’à Paris, il y a une concurrence un peu plus accrue qui pousse à devoir davantage se démarquer », observe Benjamin Moro depuis Marseille.
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Feed Instagram d’À Moro (Marseille).
© À Moro
Le bon, le beau et le truand
Il y a deux ans, à l’ouverture de Vecchio, Instagram était déjà un outil largement utilisé pour tenter de faire connaître son adresse dans le milieu ultra-concurrentiel de la restauration parisienne. Mais Hubert Niveleau estime que cette compétition a aussi été exacerbée par la plateforme : « Instagram pousse l’esthétisme à son paroxysme. C’est un peu la course au plus beau, aux trucs qui donnent le plus envie. » Le serpent se mange la queue, et peu de restaurateur·rices sont épargné·es par la dépendance que crée la plateforme. Dans le cas du Marseillais Benjamin Moro, méfiant à l’égard des réseaux sociaux et estimant ne pas en avoir besoin au quotidien, ce sont ses proches qui l’ont poussé à créer un compte. « Il nous sert à faire passer des informations, comme les changements d’horaires. Et ça nous permet de toucher les gens qui ne viennent pas de Marseille. » Mais le profil de la trattoria est très peu actif, et le patron estime que changer ses heures d’ouverture sur Google pourrait être suffisant. Alors, pourquoi ne rompt-il pas avec Instagram ? « Peut-être que je le garde sous le coude, au cas où j’aurais besoin de communiquer, en cas de problème », confie-t-il. Un filet de sécurité, donc, duquel il est compliqué de se dépêtrer.
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© Adèle Boterf
De son côté, après avoir passé en revue les autres canaux de communication possibles pour Vecchio (newsletters, messagerie instantanée…), Hubert Niveleau en conclut qu’aucun n’est aujourd’hui aussi efficace qu’Instagram. D’ailleurs, il n’a même pas envisagé un déménagement sur des plateformes alternatives telles que Pixelfed, Bluesky ou Mastodon – l’audience y est, pour l’instant, trop faible. Reste qu’on voit rarement son (e)X toxique entreprendre une Metamorphose positive…
Grailleuse discrète mais redoutablement efficace, Julie Zane ouvre l’œil sur Insta et croque l’info et les reustas pour le Fooding, en alternance de son master « Boire, Manger, Vivre » (tout un programme…) à Sciences Po.