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Petit écran, grandes tablées, gros clichés

Dinde aux marrons et entourage un peu con : à la télé, la table des fêtes continue de s’enliser dans les clichés. Mais que racontent au juste les sempiternels épisodes spéciaux de Noël ? On a demandé à une experte en séries de décrypter nos écrans-plats.

  • Date de publication
  • par
    Madeleine Kullmann
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Tablée de Thanksgiving dans Master of None, « Thanksgiving »

© Netflix

Des stéréotypes bien emballés à la TV sur les festins de fin d’année, le père Noël pourrait en faire sa tournée : famille nucléaire et hétéronormée, mets carnés, rôles genrés et alcool à volonté… De The Bear à Gilmore Girls, en passant par Friends et Black Mirror, la chercheuse en communication et journaliste télé Barbara Dupont a analysé ces épisodes complètement dindes – et ceux qui se distinguent. Pourquoi dans les séries ? Parce qu’on peut y observer « l’évolution des liens entre les personnages sur plusieurs heures, jours, voire années… ». Un peu comme dans la vie !

Dans les épisodes de Thanksgiving ou Noël, des classiques qui reviennent pour certaines séries chaque saison, les scènes à table ne manquent pas… Qu’ont en commun ces dîners « hors-série » ?

Barbara Dupont : Il existe un genre dit de l’« épisode de Noël » dans les séries, où les scènes de repas y sont effectivement récurrentes. Elles suivent, d’année en année, les mêmes traditions culinaires ou, au contraire, en prennent le contre-pied. Il y a ce qu’on y mange : de la dinde dans les épisodes de Thanksgiving et du lait de poule dans ceux de Noël. Mais aussi ce qu’on y boit : de l’alcool, un peu partout. Enfin, il y a l’identité visuelle du repas : de longues tablées décorées qui mettent en avant le sens de la communauté et de la famille. Ce sont généralement des épisodes particuliers, qui cassent le rythme habituel avec de longs flashback comme dans The Bear, Euphoria ou BoJack Horseman, ou avec des tournants narratifs qui génèrent un effet de surprise dans une structure qui semblait établie, dont on connaît les codes – comme quand Rachel de Friends met du bœuf et des oignons dans un dessert de Thanksgiving. Dans la série dystopique Black Mirror, un homme tente d’en faire parler un autre en se replongeant dans des souvenirs de Noël. La nourriture est l’élément-clé qui permet de délier les langues. Le repas, c’est le moment propice pour faire le point sur la vie des personnages, et resituer les spectateurs dans le récit.

Carmen Berzatto (joué par Jeremy Allen White) dans The Bear, « Fishes »

Carmen Berzatto (joué par Jeremy Allen White) dans The Bear, « Fishes »

© Chuck Hodes - FX

Quelle scène du genre vous a particulièrement marquée ?

J’ai été happée par l’épisode du repas de Noël de la saison 2 de The Bear… C’est devenu l’un de mes préférés de tous les temps ! Au-delà de son casting magistral – Jamie Lee Curtis, Sarah Paulson, Gillian Jacobs, John Mulaney, Bob Odenkirk, Ricky Staffieri en guest-star… –, il condense les éléments principaux de la série : la nourriture, l’effervescence étouffante, et les traumas familiaux. Il y a aussi cet épisode de Master of None (dans la saison 2, ndlr), filmé de façon très fine et touchante : on y suit Denise, à travers ses souvenirs de Thanksgiving, et on comprend comment sa mère a accepté, au fils du temps, son homosexualité.

Que disent ces scènes de ce qu’on projette sur les fêtes ?

Ces moments sont censés être beaux, bienveillants, apporter de la chaleur et de la réconciliation… Alors qu’on sait toutes et tous que ça ne se passe pas forcément comme ça ! The Bear et Please Like Me présentent des modèles de familles dysfonctionnelles, explosives ou en crise, qui viennent bousculer les attentes qu’on en a. Même si tout le monde ne fête pas Noël, il s’y joue beaucoup de choses. Ça renvoie souvent à un moment familial, agréable, de tension ou traumatique. À ce moment de l’année, on cherche peut-être dans la fiction une forme de réconfort. Alors, dans certaines séries, respecter la tradition, c’est aussi respecter la familiarité du spectateur ou de la spectatrice avec une scène qu’il ou elle attend.

Le dessert de Thanksgiving de Rachel Karen Green (jouée par Jennifer Aniston) dans Friends, « The One Where Ross Gets Highs »

Le dessert de Thanksgiving de Rachel Karen Green (jouée par Jennifer Aniston) dans Friends, « The One Where Ross Gets Highs »

© NBC

À ce propos, la plupart de ces scènes de repas continuent de véhiculer une vision très tradi de la famille…

La famille bourgeoise, blanche, hétérosexuelle et nucléaire est encore très présente dans les séries grand public. Ce sont ainsi souvent les femmes qui prennent en charge la préparation des repas, le service et la vaisselle… Mais c’est malheureusement plus un constat qui correspond au réel qu’un cliché ! Si on regarde du côté des séries en marge, moins grand public, et qui prennent de plus en plus de place à l’écran, c’est différent. Elles proposent de nouvelles représentations, plus diversifiées, et des récits différents. Dans Pose, la famille c’est les amis, dans Gilmore Girls, elle est monoparentale, dans BoJack Horseman, il n’y en a tout simplement pas. C’est une demande du public, de celles et ceux qui ne se retrouvent pas ou plus dans ce caractère traditionnel des fêtes. La fiction permet d’inventer de nouveaux points de repères.

Et des repas qui sortent du combo dinde-bûche-champagne ?

Les seuls exemples que j’ai en tête, c’est quand le plan de départ capote. Dans Please Like Me, Josh doit réaliser un gravy (du jus de viande, ndlr), qu’il délaisse finalement pour un plat végétarien… Que personne n’apprécie ! Dans Pose, où il est question de création de traditions par la famille choisie, la dinde préparée par Blanca crame… Et tout le monde se retrouve au boui-boui du coin pour fêter Noël !

Pour finir, c’est quoi une scène de repas de fêtes réussie ?

C’est un épisode qui répond à nos attentes et qui, en même temps, invente et imagine de nouvelles traditions, en cassant les codes. C’est une dualité entre tradition et nouveauté… Comme peut l’être la cuisine !

Après avoir poncé les bancs de Science Po, du tribunal de Nanterre et du Hasard Ludique (si, si, il y a un lien), Madeleine Kullmann est aujourd’hui en immersion au Fooding, histoire de voir ce qu’elle peut y Boire, Manger, Vivre – sa majeure de master à Lille. Voici les épisodes et séries dont elle a discuté avec Barbara Dupont au cours de l’entretien :
– « Fishes », The Bear
– « White Christmas », Black Mirror
– « The One Where Ross Gets High », Friends
– « Trouble Don’t Last Always », Euphoria
– « Sabrina’s Christmas Wish », BoJack Horseman
– « Thanksgiving », Master of None
– « Christmas Trifle », Please Like Me
– « Giving and Recieving », Pose
– Plusieurs épisodes de Gilmore Girls et Grey’s Anatomy

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